Le gouvernement présente la Loi sur l'assurance-médicaments : quelle sera la suite ?
Ce que ça veut dire
- Hier, le 29 février, le ministre de la Santé Mark Holland a présenté le projet de loi C-62, aussi connu sous le nom de Loi sur l'assurance-médicaments. C'était une condition pour que le gouvernement maintienne l'Entente d'approvisionnement et de confiance par laquelle le NPD appuie le gouvernement libéral lors de votes clés.
- La loi contient des principes de haut niveau pour l'assurance-médicaments, mais peu de détails, car beaucoup dépend des discussions futures avec les provinces et les territoires (le ministre ne dira pas s'il doit s'agir d'un payeur unique ou quel modèle le gouvernement préfère)
- Le gouvernement a annoncé qu'il négociera des ententes visant à fournir des fonds aux provinces et aux territoires afin qu'ils puissent offrir un accès gratuit à la contraception (pilules contraceptives, DIU, pilules du lendemain) et aux médicaments contre le diabète. Il y aura également un fonds pour les fournitures pour la gestion du diabète.
- Le projet de loi déposé aujourd'hui contient ce qui suit :
- ~ Une liste de principes de haut niveau
- ~Aucune allocation de financement spécifiée et aucune estimation des coûts
- ~ Engagements à créer :
- ~~un formulaire national (une liste de médicaments essentiels auxquels tous les Canadiens devraient avoir accès, promis pour la première fois dans Budget 2019)
- ~~une stratégie d'achat en vrac (pour économiser de l'argent en faisant en sorte que le gouvernement fédéral achète des médicaments au nom des provinces) : cela a été promis dans le Plateforme libérale 2015)
- ~ un comité d'experts qui fera des recommandations sur l'assurance-médicaments (on ne sait pas en quoi cela sera différent du Conseil consultatif Hoskins qui l'a fait en 2019)
Un long chemin vers un régime d'assurance-médicaments
Contexte politique
Le gouvernement a pris des mesures modestes pour prendre des mesures relativement à l'assurance-médicaments. Ils ont d'abord annoncé qu'ils cherchaient à obtenir un régime d'assurance-médicaments dans le budget de 2018. Depuis lors, nous avons eu conseils consultatifs, discussions, plans pour aller de l'avant, rapports, des plans d'étape et des « mesures visant à», mais la menace du NPD de quitter l'accord d'approvisionnement et de confiance a forcé le gouvernement à prendre des mesures plus fermes maintenant.
La raison la plus probable pour laquelle les libéraux ont traîné les pieds sur cette question est qu'ils ont vu des sondages sur le manque d'appétit du public pour l'assurance-médicaments. Lorsqu'on demande aux Canadiens de classer leurs principales questions, l'assurance-médicaments n'apparaît jamais. Même lorsqu'on demande aux Canadiens de nommer leur principal problème de santé, seulement 18 p. 100 disent que l'assurance-médicaments devrait être une priorité.
C'est pourquoi le gouvernement a annoncé que l'insuline et les pilules contraceptives seraient couvertes dès le départ, afin de rendre l'assurance-médicaments plus tangible pour le public et probablement comme une fale politique pour forcer les conservateurs à voter contre la santé reproductive des femmes (et la pilule du lendemain qui est également incluse).
Pourquoi si peu de Canadiens semblent accorder la priorité à l'assurance-médicaments ?
Selon une étude du Conference Board du Canada, 95 % des Canadiens ont déjà une assurance pour couvrir les médicaments sur ordonnance. A étude réalisée par Abacus Data montre que 86 % des Canadiens sont satisfaits que leur assurance privée ou collective rend les médicaments abordables et que 82 % sont satisfaits de la gamme de médicaments couverts. 90 % des Canadiens croient qu'une politique nationale d'assurance-médicaments ne devrait en aucun cas exposer les avantages collectifs à un risque d'annulation. Le fait est qu'une grande majorité de Canadiens estiment qu'ils n'ont pas besoin d'un régime d'assurance-médicaments (et que leur insuline et leurs pilules contraceptives sont déjà couvertes).
L'assurance-médicaments est également éclipsée par d'autres problèmes urgents dans le système de santé canadien. Pour prendre l'exemple des hôpitaux pour enfants, à Toronto, le temps d'attente moyen chez Sick Kids est souvent bon plus de 12 heures, alors qu'au CHEO de la capitale nationale, il dure régulièrement de 12 à 14 heures, et à Montréal, c'est souvent de 15 à 20 heures. Les sondages montrent frustration généralisée à l'égard de l'accès aux soins de santé primaires, étant donné que 22 % des Canadiens ou 6,5 millions de personnes se retrouvent sans médecin de famille ni infirmière, leur seul accès aux soins de santé passe essentiellement par l'attente prolongée dans une salle d'urgence.
Compte tenu du besoin urgent de plus de ressources pour les soins de santé au Canada, les provinces ont soutenu que ce n'est pas le moment de créer de nouveaux programmes et de nouvelles demandes comme les soins dentaires et l'assurance-médicaments à payeur unique. L'Alberta et le Québec ont déjà indiqué qu'ils se retireront de l'assurance-médicaments pour investir dans leurs propres programmes.
Établissement des coûts
Au cours de la conférence de presse, le ministre Holland a d'abord refusé d'établir les coûts parce que beaucoup de choses dépendent des discussions avec les provinces et les territoires. Mais lorsqu'on l'a pressé, il a dit que le coût serait de près de 1,5 milliard de dollars par année et qu'il n'arriverait pas cette année en raison du temps nécessaire pour adopter le projet de loi et négocier avec les provinces. Les fonds ne commenceraient à être versés qu'au cours de l'exercice 2025-2026.
C'est assez éloigné du prix de l'assurance-médicaments à payeur unique, qui était estimé entre 12 et 13 milliards de dollars, selon le Directeur parlementaire du budget, et qui pourrait être beaucoup plus élevée. L'estimation de la PBO suppose que la couverture est limitée au formulaire du Québec (liste des médicaments couverts). Bien que la liste de la province soit la plus longue de tous les régimes publics au Canada, elle couvre tout de même environ 7 000 médicaments de moins que la plupart des régimes privés d'assurance-médicaments, y compris les médicaments qui traitent des maladies comme le cancer et l'asthme. Toute expansion de la liste de médicaments pour inclure des milliers de médicaments supplémentaires pourrait augmenter les coûts bien au-delà des prévisions du DPB.
La législation
Un pas en avant, mais peu de détails
Le gouvernement a clairement indiqué qu'il s'agissait d'une première étape vers une approche progressive en matière d'assurance-médicaments.
- Le projet de loi « propose les principes fondamentaux de la première phase de l'assurance-médicaments » et promet « de travailler avec les provinces et les territoires ».
- Au lieu d'être normatif, le projet de loi vise à « guider les efforts visant à améliorer » l'accessibilité et l'abordabilité des médicaments
- L'Agence canadienne des médicaments doit préparer un formulaire national (liste des médicaments qui devraient être couverts) et une stratégie nationale d'achat en vrac dans l'année suivant la sanction royale de la loi.
- Le ministre doit créer un comité d'experts chargé de formuler des recommandations sur le fonctionnement et le financement de l'assurance-médicaments.
Où est l'argent ?
La Loi sur l'assurance-médicaments ne fait aucune mention de la façon dont un programme national d'assurance-médicaments sera payé. La section sur le financement ne contient pas de chiffres, de critères ou d'exigences de partage des coûts, simplement que le financement doit être fourni « dans le cadre d'ententes » avec les provinces et les territoires.
Il y a aussi un engagement à maintenir le financement à long terme pour améliorer l'accessibilité et l'abordabilité des produits pharmaceutiques, y compris pour les personnes atteintes de maladies rares, qui sera fourni dans le cadre d'ententes avec les gouvernements respectifs.
La seule clause précise était que le gouvernement pouvait conclure des ententes entre les provinces et les territoires en vue d'augmenter la couverture publique d'assurance-médicaments existante pour certains médicaments d'ordonnance et produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète.
Prochaine étape
L'avenir de l'assurance-médicaments
Il est difficile de dire ce que l'avenir réserve à l'assurance-médicaments au Canada parce qu'il y a peu de détails dans le projet de loi et parce que le ministre de la Santé a soigneusement évité d'entrer dans les détails lors de la conférence de presse.
Lorsqu'on lui a demandé si le régime d'assurance-médicaments devait être à payeur unique (un point sur lequel le NPD avait insisté et qui n'est pas précisé dans le projet de loi), le ministre a répondu que le comité d'experts aurait l'occasion d'évaluer les résultats de son fonctionnement et l'efficacité des différents modèles.
On a demandé au ministre si d'autres médicaments (en plus des contraceptifs et des médicaments contre le diabète) seraient ajoutés au régime. Le ministre Holland a expliqué que le comité d'experts se pencherait sur la question et tiendrait des discussions. Il a insisté sur le fait que nous « ne savons tout simplement pas où l'information nous mènera ». Le ministre a déclaré qu'il ne « pontifierait pas sur ce que l'avenir nous réserve » parce que le gouvernement sera dirigé « par la science et la raison ».
Cependant, le ministre a semblé laisser entendre qu'une fois que le public verrait un « programme pilote » réussi de contraceptifs et de médicaments contre le diabète offert par un régime public d'assurance-médicaments, cela stimulerait la demande du public pour une couverture accrue. Le ministre a également souligné la relation de travail positive et les efforts constructifs du NPD.
Entente d'approvisionnement et de confiance (SACA)
Nous savons maintenant (presque avec certitude) qu'il n'y aura pas d'élections en 2024. L'Entente d'offre et de confiance permet aux libéraux de gouverner comme s'ils avaient la majorité, en faisant avancer des projets de loi sans se soucier que des votes de confiance renversent le gouvernement, parce qu'ils peuvent compter sur l'appui du NPD. Bien que cela leur permette de passer une autre année au gouvernement, l'entente pourrait avoir des inconvénients pour les chances électorales des deux partis l'an prochain.
Grâce à la SACA, les libéraux voient leur programme pour la classe moyenne dominé par les priorités du NPD (soins dentaires, assurance-médicaments, interdiction des travailleurs de remplacement) et bien qu'ils s'attribuent très habilement le mérite de ces politiques, des sondages récents montrent qu'il y a eu peu d'avantages politiques pour eux. L'accord comporte également un risque pour le NPD, parce qu'il est perçu comme un appui à un gouvernement impopulaire et qu'une forte majorité de Canadiens veulent du changement, ils n'ont pas été en mesure de profiter de la baisse de popularité libérale.
Pourtant, la SACA permettra au gouvernement libéral de remettre son programme législatif sur les rails et d'adopter d'autres lois, un défi majeur dans un parlement minoritaire. Lors de la dernière session législative (de septembre à décembre 2023), seuls trois projets de loi sont passés à l'étape de la troisième lecture, dont deux ont été appuyés par les conservateurs avec des motions de consentement unanime. Ainsi, un seul projet de loi, la prestation d'épicerie du gouvernement, a été adopté sur une période de trois mois. Il y a maintenant un arriéré de 20 projets de loi en deuxième lecture ou en comité.
Les moyens les plus importants pour le gouvernement d'accélérer son programme par l'entremise du Parlement sont les motions de programmation (qui fixent les dates des votes) ou les motions d'ajournement ou d'attribution de temps (qui limitent le temps de débat). Tous ces éléments nécessitent des votes à la majorité. Peut-être que le renouvellement de l'appui du NPD permettra au gouvernement de faire adopter davantage de mesures législatives au Parlement.